lundi 17 octobre 2011

L'imagination active - Principe et mise en garde


Nous allons tenter d'encadrer le principe de l'imagination active, processus déterminant dans la voie de l'individuation, mais qui nécessite des conditions et dispositions préalables indispensables... 

!!! Mise en garde !!! 

Ce qui va être décrit ci-dessous demande une disposition préalable : un Moi stable et fort, pour ne jamais lâcher les rennes.  
Celui qui n'a pas œuvré longuement et durement sur  cette étape ne doit pas s'aventurer plus loin...
Il faut être prêt à affronter les "dieux eux-mêmes", l'affaire n'est pas mince !
Jung lui-même estime être passé très prêt de la chute au cours de l'expérimentation de cette pratique...
Idéalement, il conviendrait alors d'être guidé, et bien guidé, d'abord par un soutien "extérieur" qui sera ensuite suppléé par une "instance intérieure". 

Qu’est ce que l’imagination active ? 

 

J’aime plutôt parler d’activation de l’imagination qui transmet mieux l’idée d’une participation consciente à un monde d’images indépendantes de la conscience.

Jung a découvert de manière totalement empirique ce processus, par répétition et attention assidue, il en a extrait un processus. Dans son commentaire sur le mystère de la Fleur d'or (1928), on peut y trouver ses évocations sur des méditations chinoises qui semblent lui avoir fourni un matériaux de support pour le développement qui suivra.
L’imagination active est souvent considérée comme un outil ou une technique. 
Elle est indissociable de la fameuse fonction transcendante (voir ici), ce processus libérateur, activateur de transformation chez l’individu. 
D’après Jung, là réside une véritable voie royale de communication avec l’inconscient. 
En effet, si le rêve est une porte sure, authentique vers l’inconscient, pour qui sait « l’entendre », il reste totalement indépendant de l’activité consciente...l’imagination active sollicite la conscience.


Mise en pratique 

 

Pour mieux comprendre les enjeux et écueils possibles, marquons les étapes d’un exercice d’activation de l’imagination .

  1. L’étape préliminaire n’est pas sans rappeler la pratique de la méditation : stopper le flux des pensées, le parasitage du mental agité…chacun usera de la méthode qui lui convient le mieux.
  2. Là, l’exercice précédent prend toute son importance. "Happer", ressentir, un élément qui sera point de départ, qu’il soit bribe de rêve, image, son surgissant de l’intérieur. Ne pas vouloir saisir (juger, évaluer, etc) ce qui vient car cela va briser l’élan naturel et ne pas relâcher totalement l’attention qui va entraîner un flux inexploitable (imagination passive). L’art subtil du « laisser advenir »,
  3. Vient alors ce que l’on peut nommer la mise en forme. Il s’agit de donner corps aux images à travers ce qui conviendra le mieux sur le moment et selon « l’aptitude » de chacun, écriture, dessin, danse, chant, etc. L’étape est particulièrement cruciale car on peut la comparer à de l’archéologie psychique, il s’agit d’extraire des matériaux du tréfonds de son être et de les faire remonter à la surface de sa conscience. Ne jamais s’attarder sur l’esthétisme qui dénaturera le produit tout en évitant toute négligence. L’attention dans l’instant,
  4.  L’heure de la confrontation a sonné. Sans concession, sans faiblesse, sans compromis, on doit alors faire face à ce à quoi on a donné corps. Rien ne doit être lâcher avant qu’un dialogue (avec une image, un personnage, un élément de son corps, etc) s’établisse…attention, car ce dialogue démarrera toujours par un conflit. Les deux pôles de notre être "dialectise". De l'issue de la confrontation, si elle reste dirigée par la conscience, doit surgir une nouvelle clef (sous la forme symbolique, un autre vaste sujet).
  5.  Enfin, à ne surtout pas oublier après tant d’efforts, la mise en forme puis en application du produit obtenu, la prise en compte du symbole, la rédaction de notre propre Livre Rouge...car il s’agit finalement de cela. Nul besoin de cuir ou de volume parcheminé, un calepin d'étudiant peut faire l'affaire.Choisissez la clé qui vous attire le plus et débloquez votre magie ...
Enfin, pour tous ceux qui veulent approfondir le sujet, nous conseillerons vivement la lecture de Rencontre avec l’âme de Barbara Hannah.(voir ici).

dimanche 9 octobre 2011

Archétype (6) - L'ombre

Voici l'heure d'aborder ce "monument" de la psychologie analytique. Sur ce concept probablement plus que sur tous les autres, il faut d'abord tenter de se libérer des idées préconçues, des caricatures restrictives et images populaires un peu trop simplistes.
En effet, l'ombre est ce qui n'est pas beau en nous, ce qui nous fait peur ou fait fuir mais tellement d'autres choses également.

 
Il paraît essentiel, pour saisir correctement l'archétype (car c'en est un), de reprendre depuis le début... 
Qu'est l'ombre et à quoi sert elle ?

 

Genèse de l'ombre

L'ombre et le moi sont étroitement liés.
Quand le moi se constitue, se "densifie", il constitue une empreinte unique dans la matrice de l'inconscient indifférencié (pour rappel, voir le début de ce  billet)...l'image employée du doigt qui marque la cire est aussi utile ici : le creux créé possède naturellement une autre face, opposée, une "bosse" qui est l'ombre. 
Tous les choix écartés dans notre vie, les potentiels inexploités, les carences entretenues, les images traumatiques qu'on a voulu enfouir (ou fuir), etc constituent les "matériaux fondateurs" de l'ombre.
 
L'ombre de quoi ? De la conscience évidemment !
La vie nous éclaire continuellement et notre face éclairée est le moi.
L'ombre à l'abri derrière répond à la nature même de l'objet éclairé. 

 

Constitution de l'ombre

L'ombre est archétype par son universalisme et étroitement liée au genre humain.
Elle est communément associée au mal et Jung va y consacrer une part très importante de ses recherches. (Lire notamment Aïon et Réponse à Job)
Qu'est ce que le mal et doit on le fuir ?
Le mal, dans la perspective jungienne, est finalement là où la conscience n'apporte pas sa lumière
L'héritage judéo-chrétien a fortement compliqué le rapport au mal de l'occidental en l'impliquant, de fait, dans un champ moral. 
En le dépassant,  Jung ne réduit plus le mal à la privatio boni mais en arrive à la conclusion que le mal est une entité autonome, qui existe en elle-même, et qui n’entre pas dans une relation de causalité avec le bien. .
L'ombre n'est pas le mal en nous mais l'archaïque, la nuance est fondamentale !
Pour résumer,l'ombre pourrait être assimilé à l'inconscient personnel de l'individu. Unique à chacun, c'est aussi un médiateur précieux avec les profondeurs fondatrices de l'être.


Où est l'ombre ?

Nichée dans l'inconscient, seule une attention sincère et une certaine distanciation peut nous permettre de la déceler.
Elle existe chez chacun de nous à travers ce que l'on appelle la fonction inférieure (voir ici pour les détails).
Répondant au processus naturel, d'origine inconsciente, elle n'est décelable qu'à travers les projections.
"De deux choses l'une, nous connaissons notre ombre ou ne la connaissons pas ; dans ce dernier cas, il arrive souvent que nous ayons un ennemi personnel sur lequel nous projetons notre Ombre, dont nous le chargeons gratuitement, qui, à nos yeux, la porte comme si elle était sienne, et auquel en incombe l'entière responsabilité ; c'est notre bête noire, que nous vilipendons et à laquelle nous reprochons tous les défauts, toutes les noirceurs et tous les vices qui nous appartiennent en propre! Nous devrions endosser une bonne part des reproches dont nous accablons autrui! Au lieu de cela, nous agissons comme s'il nous était possible, ainsi, de nous libérer de notre Ombre; c'est l'éternelle histoire de la paille et de la poutre." Jung L'homme à la découverte de son âme
Soyons attentif à nous-même pour déceler nos incompétences et nos lacunes, arrêtons nous quelques instants sur le type détestable qui nous agace prodigieusement (pourquoi ?) : nous touchons du doigt notre ombre.




L'ombre utile ?

Quelle question...l'ombre est fondamentale !
L'individuation qui est projet de fondation de l'individu est une entreprise de terrassement : libérant strate après strate, ramenant à la surface des sédiments de notre passé et de temps immémoriaux, les premiers coups de pelle vont tomber sur l'ombre.
La part inconnue, inadaptée, primitive en nous est la source de notre enrichissement, quoi de plus logique, on ne s'enrichit jamais du semblable
L'entreprise est cependant ardue car il faut compter sur le conservatisme extrême du moi (voir ici)...l'inconnu nous place en face de la source de nos peurs !
Le travail sur l'ombre est donc, avant tout, un travail sur ces peurs, leur identification, leur confrontation, leur résolution...Le déni ou le rejet n'a pas de sens puisque nous évoquons bien une part de nous-même. Pire, son évitement lui fournira un peu plus d'énergie, la rendant mécaniquement plus redoutable.
En somme qu'il soit coopérant ou non, l'homme n'échappera pas au dialogue difficile avec l'ombre pour se libérer, s'épanouir, grandir.
 
Pour finir sur une note positive, une citation de Roland Cahen qui peut être source d'inspiration :  
que tous ceux qui sont effrayés par leur double pervers et primitif n'oublient jamais qu'ils ont aussi en eux un double héroïque et divin, le Soi...