mardi 26 mars 2013

Approche de la Gnose

Document copte de Nag Hammadi
"De 1918 à 1926, je me suis sérieusement plongé dans l'étude des gnostiques. Je me suis intéressé à eux, car les gnostiques, eux aussi, avaient rencontré, à leur façon, le monde originel de l'inconscient
Ils s'étaient confrontés avec ses images et ses contenus qui, manifestement,étaient contaminés par le monde des instincts.


De quelle façon comprenaient-ils ces images ? 
Cela est difficile à dire en raison de l'indigence des informations qui nous sont parvenues à ce propos, d'autant plus que ce qui nous en a été transmis provient le plus souvent de leurs adversaires, les Pères de l'Eglise..."
Extrait de Ma Vie, p 239

La Gnose, un sujet difficile, souvent mentionnée, pourtant très mal connue...comme l'extrait du dessus nous l'indique, Jung y a vu un petit caillou, ces petits cailloux qu'il s'est efforcé de retrouver pendant des décennies pour suivre l'évolution de l'humanité, sur le plan psychique, et y comprendre la place de l'individu dans ce vaste mouvement.

Je me réserve le prochain billet pour commencer le décryptage et la définition de la gnose, vaste programme, aujourd'hui, je veux livrer un témoignage, d'un des grands écrits apocryphes (retenons la définition issue de l'étymologie grecque, apókryphos, « caché »), l'évangile selon Thomas.


Ils Lui dirent :

Alors, en étant petits,
Irons-nous dans le Royaume ?
Jésus leur dit :
Quand vous ferez le deux Un,
Et le dedans comme le dehors,
Et le dehors comme le dedans,
Et le haut comme le bas,
Afin de faire le mâle et la femelle
En un seul
Pour que le mâle ne se fasse pas mâle
Et que la femelle ne se fasse pas femelle,
Quand vous ferez des yeux à la place d’un œil,
Et une main à la place d’une main,
et un pied à la place d’un pied,
Une image à la place d’une image,
Alors vous irez dans le royaume.

Logion 22 (logion est une parole rapportée du Christ)




Chacun appréciera ces mots, qui ne sont pas sans nous rappeler ceux du fameux texte hermétique de la table d'émeraude de Trismégiste, et qui, sans équivoque, traite d'une conjonction des opposés, d'une union à accomplir dans le multiple...le lien est fait !

A bientôt...

dimanche 17 mars 2013

Delphes - Un enseignement antique

Temple d'Apollon
J'ai toujours considéré avec beaucoup de respect et d'intérêt la sagesse antique, les mythes et, bien entendu, la philosophie socratique. C'est donc naturellement que j'ai envie de vous faire partager de petites pensées, non sans lien avec le thème central de mon blog, l'âme humaine.
L'oracle de Delphes est relativement connu, notamment pour son précepte clef, l'incontournable "connais toi toi-même"...saviez vous en fait que le fronton du temple d'Apollon comportait de nombreux autres préceptes, qui demeurent encore partiellement traduits de nos jours, je vous en livre quelques uns.
  
« Connais-toi toi-même »

C'est dans le dialogue de Socrate avec Alcibiade (en particulier le premier dialogue où Platon expose, en profondeur, le principe de la connaissance de soi) que l'on trouve évoqué ce thème. Bien entendu, pour se voir, se découvrir, se connaître, il faut un œil. Mais il faut aussi quelque chose qui nous renvoie l'image car l’œil ne peut pas se contempler tout seul. Ainsi, un autre œil est nécessaire et, si la quête de la vérité est la notre, il faut saisir le miroir d'un œil qui la détient, celui du domaine divin (chez les grecs, Dieu est une valeur ultime, le beau, le vrai, qui n'a que peu de rapport avec le Dieu monothéiste défini par la théologie).
Abandonnons provisoirement Platon pour saisir l'analogie de ce dialogue discursif avec la pensée de Jung :
  • l’œil qui saisit l'intériorité est l'âme,
  • l'âme de l'autre me permet de contempler une image, partielle et floue mais dont les contours se dessinent, de la mienne (par le jeu des projections),
  • enfin, la part intangible et éternelle qui nous constitue (le monde des archétypes, le Dieu des grecs), devient la matrice "nourricière" de notre être qui, enfin, se "re-connaît".

« Rien de trop » et « Au dieu l'honneur » 

Némésis
Je vois dans cette injonction la mise en garde pour celui qui, sur le chemin de la connaissance, de la sagesse pour les grecs ou, pour nous, en plongée dans l'inconscient, s'approprie la part d'âme qui n'est pas sa propriété (qui dépasse son inconscient personnel). 
Les grecs avaient un terme précis pour désigner cette faute, qui était d'ailleurs une des plus graves dans leur civilisation, c'est l'hybris, la démesure de l'homme qui se prend pour un géant, un Dieu, la faute "prométhéenne". 
Mais la mythologie grecque étant d'une richesse infinie, la contre mesure de cet "enflement" égotique était la terrible némésis, cette déesse pouvait en effet appliquer la vengeance sur le coupable en le condamnant à une réduction drastique de son être, à ses limites humaines les plus restrictives...

  • l'âme, à la rencontre des dieux (les archétypes), peut s'identifier à eux et perdent les frontières qui le constituent
  • dans cet état particulier, la terrible Némésis (l'inflation) condamne l'être à sa portion congrue, empêche la conscience de s'enrichir, rompt avec la nature de l'homme...
Cette philosophie, qui parfois nous semble lointaine, est intemporelle et s'attache à des enjeux du quotidien, dans notre rapport à l'homme, la nature, et ce qui les dépasse.
Il est aisé de comprendre pourquoi la pensée platonicienne et néo-platonicienne a tant inspiré Jung.

vendredi 1 mars 2013

Jung, Guérisseur, blessé de l'âme - Dunne




Une énième biographie me direz vous...pas tout à fait. 
Si j'ai eu envie de vous présenter cet ouvrage, c'est qu'il recèle des petits bijoux qui donnent un éclairage assez nouveau sur notre truculent psychologue.






L'auteur : Clare Dunne

Voici un personnage inhabituel dans cette section sur les livres. Pas de diplôme de médecine, pas de titre en psychologie, pas de cabinet...cette ancienne actrice, passionné du monde de la radio et de philosophie, a découvert Jung comme la plupart d'entre nous, au détour de lectures qui l'ont profondément marquées. Reconnaissant dans la pensée de Jung la mise en mot de ce qui l'animait depuis des années, elle décida donc de donner des conférences et séminaires avant de finalement écrire cet ouvrage particulier.

Présentation de l'ouvrage
 
Je ne vais pas réinventer la roue, un site ami a réalisé un travail remarquable de présentation, tant sur la forme que sur le fond, et je me fais une joie de vous indiquer le chemin pour découvrir le contenu de l'ouvrage et, surtout, des illustrations...car il faut bien le reconnaître, ces photos, images, reproductions qui parsèment le livre sont autant d'invitations au voyage de pensée et de supports de projections imaginaires, un véritable régal pour les sens et l'esprit.

Avis personnel
 
J'ai déjà beaucoup dit, évidemment en bien, car j'avoue avoir pris un rare plaisir à parcourir ces pages, avec facilité, comme un visiteur qui entre dans la maison et en fait le tour avant de sortir...ce qui marque dans cette biographie est l'accent mis essentiellement sur l'homme et non sur l’œuvre
On ne trouvera pas de vulgarisation sur l'archétype ou l'individuation, mais de multiple anecdotes de vie, des témoins de passage ou des amis de longue date qui ont marqué la vie de Jung ou ont été marqués par son esprit...c'est vivant à souhait !

Quelques extraits
"...C'est vrai, une force de la nature s'exprime en moi - je ne suis qu'un conduit... J'imagine que, dans bien des cas, je pourrais vous paraître sinistre. Si, par exemple, la vie vous a mené à adopter une attitude artificielle, vous n'allez pas pouvoir me supporter car je suis un être naturel. Ma présence même cristallise; je suis un ferment. Je suis perçu comme un danger par l'inconscient des gens qui vivent d'une manière artificielle. Tout en moi les irrite, ma façon de parler, ma façon de rire... Ils sentent la nature..."
"...L'atmosphère était, dirais-je, intellectuellement vibrante et à la page; les conférences offraient toujours des sujets d'actualité nouveaux. Mais c'étaient les exposés de C. G. Jung, alors encore un inconnu pour moi, qui me touchèrent d'une façon tout à fait particulière. Ils contrastaient tellement avec le rationalisme intellectuel des autres -du moins, c'était mon impression. Mais mon jeune sens de la réalité se mit en alerte en même temps que ma fascination admirative: «Ça, c'est un "super-cerveau", mais est-ce bien vrai ?» Quand, plus tard au cours de la session, je vis Jung, son chapeau planté en arrière sur la nuque, avancer à grandes enjambées et laisser ce milieu social convivial « branché », je me dis : « Si cet homme dit ce genre de choses, c'est que cela doit être en ordre. L'enracinement en terre que je sentais émaner de Jung était pour moi la garantie de la crédibilité de sa psychologie. »...
"...À ma grande surprise, Jung m'accompagna... dans la rue où ma voiture était garée. Il marchait à mes côtés en silence, la pipe à la bouche, perdu à l'évidence dans ses pensées, et je ne disais rien non plus. Il se tourna soudain vers moi et me demanda: «Pourquoi ne me comprennent-ils pas ? » II avait un ton dans sa voix que je ne lui connaissais pas, à la fois plaintif, interrogateur et blessé. Je savais instinctivement à quoi cet «ils» se rapportait. «Ils», c'était le monde extérieur, le monde de la science, de la psychologie et de la psychiatrie officielles, celui des religions établies, des préjugés, qui persistaient à ne pas comprendre et à déformer ses découvertes et sa pénétration du monde intérieur, le monde de l'âme. Dans sa question je sentais la solitude de l'explorateur, du chercheur qui ose regarder au-delà de ce qui est accepté et connu, de celui qui ne peut faire autrement. 
Je lui répondis : « Dr Jung, vous savez aussi bien que n'importe qui au monde pourquoi "ils" ne vous comprennent pas. Ne serait-ce pas simplement du fait que vous êtes en avance de cinquante à cent ans sur notre temps ? » II me regarda un court instant, hocha lentement la tête en silence et me tendit la main pour une dernière poignée de main..."
"Emma Jung mourut cinq jours plus tard, le 27 novembre 1955.

Mon cher Neumann, 
Soyez très sincèrement remercié pour votre lettre si cordiale!... Je ne peux hélas qu'aligner devant vous des mots arides, car la secousse que j'ai vécue est tellement forte que je ne parviens ni à me concentrer ni à retrouver ma faculté d'expression. J'aurais aimé vous raconter en toute amitié, à cœur ouvert, comment j'ai eu, deux jours avant la mort de ma femme, ce que l'on peut bien appeler une grande illumination; en un éclair, elle a fait la lumière sur un mystère aux racines séculaires qui était incarné dans ma femme et avait exercé sur ma vie une influence immense et d'une insondable profondeur. Je ne peux avoir à ce sujet qu'une seule idée: cette illumination émanait de ma femme, qui était alors la plupart du temps sans conscience, et la clarté immense et libératrice de mon intuition a exercé sur elle un effet en retour qui a contribué à lui donner une mort royale et sans souffrance. 
Cette fin rapide et sans souffrance - cinq jours seulement entre le diagnostic définitif et la mort - et cette expérience m'ont été une grande consolation. Mais le silence qui s'est fait autour de moi, ce silence que j'entends, le vide de l'espace et le sentiment d'un immense éloignement, tout cela est dur à supporter..."