mercredi 17 avril 2013

Psychologie et philosophie - Zofingia - JUNG

Voici "le petit dernier" des éditions Albin Michel qui, depuis quelques années et sous la direction de Michel Cazenave, a entrepris la traduction française des séminaires et conférences de Jung...heureuse initiative !
Après les conférences de Tavistock (voir ici), nous voici gratifiés par les élans de jeunesse d'un Jung, passionné, engagé et fougueux...et en même temps porté par une profondeur de réflexion où se dessine sa  future psychologie.

Sommaire
Le livre est composé des conférences, dans l'ordre chronologique.
- Les limites de la science exacte (novembre 1896)
- Quelques réflexions sur la psychologie (mai 1897)
- Discours d'investiture à la présidence de la société de Zofingue 1897-1898
- Réflexions sur la nature et la valeur de la recherche spéculative (semestre d'été 1898)
- Réflexions sur la conception du christianisme en rapport avec l'enseignement d'Albrecht Ritschl (janvier 1899)


Contexte
Jung est étudiant en médecine, il a alors 21 ans. Riche de ses lectures philosophies et théologiques, de ses questionnements intérieurs qui seront dévoilés beaucoup plus tard dans Ma Vie, le voici propulsé dans la société Zofingia. Ce groupement d'étudiants avait, à l'origine, une véritable vocation politique, promulguant la création d'un fédéralisme de la Suisse. On trouvera d'ailleurs beaucoup d'allusion politique, notamment par des considérations de l'influence de l'état sur l'individu, dans les conférences de Jung (thème qui sera aussi celui d'un de ses derniers essais, Présent et avenir).
"Patriae, Amicitiae, Litteris" (A la Patrie, à l'Amitié, à la Science) était la devise de cette société, tout un programme !



Avis personnel
De la fougue, de l'impétuosité...naturelle ou calculée ? c'est un peu la question que je me suis posée tant on a du mal à reconnaître la patte de Jung. Et puis, bien vite, je me suis rappelé qu'il s'agissait de conférences, oral donc, d'un auditoire de la fin du 19ème, constitué de la jeune élite intellectuelle suisse engagée dans un mouvement politique et social...
Quoi qu'il en soit, ce Jung passionné est passionnant. Frondeur, certes mais aussi d'une profondeur et d'une maturité stupéfiante.
Le point indéniable que l'on identifie très rapidement : les germes de pratiquement tous les grands concepts de sa future psychologie sont mises à jour...même si l'histoire nous dit que la période de profonde régression après la rupture avec Freud et la rédaction des sept sermons furent les véritables sources et nourritures de sa pensée, il apparaît ici évident que "le matériau était déjà identifié".

Quelques extraits

Introduction
L'intérêt de ces premières «lectures» n'est pas seule­ment de nous donner un aperçu de l'homme qu'était Jung à cette époque, mais de nous montrer à quel point ses vues de jeunesse concordent avec sa pensée ultérieure et comment il tentera finalement, tout au long de sa vie, de répondre aux questions qui l'agitaient alors.
Sur l'âme 
"Nous pourrions, en étant audacieux, donner à ce sujet transcendantal le nom d'âme. Qu'entendons-nous par l'âme? L'âme est une intelligence, indépendante de l'espace et du 

temps.......Puisque l'âme n'est pas une forme de force matérielle, on ne peut émettre aucun jugement sur elle. Or, tout ce qui ne peut être soumis au jugement subsiste cependant en-dehors des concepts d'espace et de temps. L'âme est par conséquent indépendante de l'espace et du temps. Il existe donc pour nous une raison suffisante de postuler l'immor­talité de l'âme."
Sur l'empirisme 
"Le fondement de toute philosophie se doit d'être empirique. Toute philosophie se fonde vérita­blement sur ce que nous expérimentons par nous-mêmes et pour nous-mêmes dans le monde qui nous entoure. Toute construction a priori qui s'abstrait de l'expérience conduit à l'erreur. Nous devrions déjà le savoir, depuis les premiers philosophes post-kantiens comme Fichte, Schilling, Hegel, etc.. Comme le dit Nietzsche, notre phi­losophie se doit avant tout d'être une philosophie de ce qui nous entoure. Elle doit ouvrir sur l'inconnu en se fondant sur la base réelle de l'expérience,..."
Sur les limites de la causalité 
"Un caillou tombe au sol. Pourquoi ? À cause de la gravité. Pourquoi réagit-il à la gravité? Parce que telle est sa propriété. À ce point précis, notre capacité à saisir la situation atteint sa limite. Nous admettons en lui-même le principe incompréhensible de la gravitation universelle, c'est-à-dire que nous établissons un postulat transcendantal. La causalité nous conduit à une chose en soi que l'on n'est plus en mesure d'expliquer, à une cause primitive de nature transcendantale. En ce sens, il convient également de concevoir la catégorie de la causa­lité comme un indice merveilleux et a priori qu'il existe des causes de nature transcendantale, c'est-à-dire un monde invisible et inconcevable pour nous, une continuation de la nature matérielle dans le royaume de l'incalculable, de l'in­commensurable, de l'indéchiffrable."
Sur la dualité et l'opposition apparente des choses. 
Le monde absolu ne se divise pas en deux royaumes dis­tincts, celui de la chose en soi d'un côté, et le monde phé­noménal de l'autre. Tout est Un. Ce n'est que pour nous que cette division existe, parce que nos organes sensoriels ne sont capables de percevoir que certaines sphères du monde absolu.
Jacob Bôhme a dit: 
Sans opposition, aucune chose ne peut apparaître à elle-même; car s'il n'y a rien en elle qui lui résiste, elle se répan­dra perpétuellement vers l'extérieur et ne rentrera plus en elle-même, et si elle ne rentre pas de nouveau en elle-même, en sa source originelle, elle ne saura rien de sa condition première.